vendredi 19 avril 2013

In the mood for love


Un décor, deux personnages, il ne faut guère plus d’éléments à Wong Kar-wai pour concevoir l’univers de In the mood for love. Elle s’appelle Madame Chan (Maggie Cheung), il se nomme Monsieur Chow (Tony Leung Chiu-wai). On ne connaitra jamais leurs prénoms, ils seront toujours appelés ainsi. En cette année 1962 à Hong Kong, ils louent avec leur mari et femme respectifs dans deux appartements mitoyens. Ils vont faire connaissance lors de leur emménagement. Les livreurs se trompent constamment dans les paquets, déposant certains chez l’un et d’autre chez l’autre. Monsieur Chow en profitera pour ramener l’un de ces paquets échangés à Madame Chan et se parler pour la première fois après s’être déjà regardé. Très vite, Monsieur Chan et Madame Chow vont quitter le récit, on ne verra jamais leurs visages, tout juste entend-on leur voix quand chacun d’eux annonce son retard après le travail, un séjour au Japon. Ils ne sont plus dans leur appartement, et cette absence est la première raison du rapprochement entre Madame Chan et Monsieur Chow.

L’adultère est dans l’air du temps. M. Ho (Lai Chen), le patron de Madame Chan – elle travaille comme secrétaire dans une compagne de transports maritimes – lui demande d’appeler son épouse pour annoncer son retard et voir Mlle. Yu sa maîtresse. De son côté, Monsieur Chow – lui est auteur de feuilletons dans un journal – a un ami Ping (Siu Ping-lam) qui vient régulièrement lui taper un peu d’argent pour se payer une prostituée. Madame Chan et Monsieur Chow se croise dans les couloirs menant à leur appartement, dans l’escalier du restaurateur. Elle préfère s’acheter quelques nouilles qu’elle mettra dans son thermos plutôt que de se faire inviter par Madame Suen (Rebecca Pan), l’encombrante et indiscrète propriétaire du lieu qui passe ses soirées à jouer au mah-jong avec les voisins, dont Monsieur Koo (Chan Man-lei), propriétaire de l’appartement de Monsieur Chow. Ama (Mama Hung), la vieille bonne de Mme. Suen n’est pas en reste pour fourrer son nez dans les affaires des autres. Le paroxysme sera atteint au milieu du film dans la chambre de Monsieur Chow où se trouve Madame Chan qui ne peut pas sortir de peur du qu’en dira-t-on. In the mood for love montre un Hong Kong étriqué, vivant dans la promiscuité et paradoxalement, comme dans Nos années sauvages, les rues sont toujours vides.

Comme le dit Chow, il faut « maitriser ses sentiments », d’autant qu’il reste persuadé que Madame Chan ne quittera pas son époux pour lui. Malgré le constat qu’ils font, Monsieur Chan est devenu l’amant de Madame Chow. Ils s’en sont aperçus parce que l’une porte le même sac à main que Madame Chan et que l’autre revêt la même cravate que Monsieur Chow. Des cadeaux d’amants similaires aux cadeaux des époux. Les tenues des personnages ont encore plus d’importance que les décors, somme toute assez simple, Wong Kar-wai et son chef décorateur refusant de tomber dans le décorum et la naphtaline facile de la recréation des années 1960. Finis les slips et les marcels blancs de Leslie Cheung et Tony Leung Chiu-wai dans Happy together. Ce dernier est désormais constamment en costumes et cravate. Le personnage de Maggie Cheung porte toute une collection de robes parfaitement ajustées à sa taille et aux couleurs et motifs variés. C’est bien simple, elle change de robe à chaque séquence. L’érotisation de son corps passe par ses robes. Jamais les deux amants putatifs n’enlèveront le moindre vêtement. Ils se toucheront à peine, n’échangeront aucun baiser, toujours dans cette volonté de maîtriser ses sentiments. L’érotisation atteint son comble dans les quelques ralentis où se dandine l’actrice tenant son thermos.

En parlant de maîtrise justement, In the mood for love apparait comme l’aboutissement de la mise en scène de Wong Kar-wai. Il pratique avec ce film le retranchement, moins de personnages, moins de décors, moins de récit. Ses scènes sont très courtes, finissant souvent (au moins dans la première partie) par des fondus au noir. Il ne subsiste que des bribes de dialogues entre Madame Chan et Monsieur Chow. Les scènes sont scandées par la musique lancinante de Michael Galasso et les mélancoliques chansons en espagnol de Nat King Cole. Comme dans ses films précédents, le désir d’évasion hante les personnages. L’évasion d’abord immobile avec la tentation de l’adultère puis le départ de Monsieur Chow, dans la deuxième partie, pour Singapour et ensuite le Cambodge, le départ pour les Etats-Unis de Madame Suen, les produits inédits ramenés du Japon par Monsieur Chan. Paradoxalement, cette évasion ne fait qu’accentuer le sur-place sentimental du personnage de Tony keung Chiu-wai. Or cet aboutissement dans l’œuvre du cinéaste est aussi sa limite, comme s’il était devenu avec 2046 et plus encore dans My blueberry nights incapable de recréer la magie hypnotique de In the mood for love, dont le succès critique et public a été phénoménal, plaçant jusqu’à aujourd’hui Maggie Cheung et Tony Leung Chiu-wai au firmament des stars glamour et sexy.

In the mood for love (花樣年華, Hong Kong, 2000) Un film de Wong Kar-wai avec Maggie Cheung, Tony Leung Chiu-wai, Rebecca Pan, Siu Ping-lam, Lai Chen, Chan Man-lei, Mama Hung, Roy Cheung.

Aucun commentaire: