samedi 6 avril 2013

Nos années sauvages


Finalement, raconter l’histoire de Nos années sauvages est assez simple. York (Leslie Cheung), un jeune homme sûr de son pouvoir de séduction drague Chun (Maggie Cheung), une jeune femme réservée qui lui résiste. York rencontre Mimi (Carina Lau), une chanteuse de cabaret au caractère opposé à Chun. Ils couchent ensemble. Chun en est jalouse et va espionner York. Un flic en patrouille (Andy Lau) la remarque et va discuter avec elle. Le meilleur ami de York (Jacky Cheung) est en admiration devant lui et cherche à imiter tous ces gestes de séduction, en espérant draguer des filles. Enfin, la mère de York (Rebecca Pan) lui donne, après des années, le nom de sa vraie mère qui vit aux Philippines. C’est une ancienne prostituée qui entretient un jeune gigolo. York va s’y rendre et y rencontrer le flic qui a décidé de s’engager dans la Marine. Tout ce passe en 1960 à Hong Kong dans un quartier populaire.

Evidemment, raconter comme ça le film n’indique en rien du style du deuxième film de Wong Kar-wai. Nos années sauvages a l’apparence d’un mélodrame amoureux contrarié et le cinéaste déstructure son récit en supprimant les liaisons entre les séquences et dans une même séquence entre les scènes. L’exemple le plus frappant est dans l’ouverture du film. York se rend au guichet que tien Chun pour acheter un soda. La première scène est complète, il commande sa boisson, elle lui donne le tarif, il paie, il lui dit que cette nuit elle rêvera de lui, il lui demande son nom puis s’en va. Cette scène initiale est répétée plusieurs fois et chaque fois, un élément est supprimé pour n’arriver qu’à York qui arrive. Retrancher pour arriver à son objectif : montrer l’arrivée de la fascination de Chun pour cet homme mystérieux. Les plans sur l’horloge fixent le rendez-vous quotidien et son tic-tac qui se fait entendre sur toutes ces scènes crée une continuité paradoxale.

Wong Kar-wai n’hésite pas à abandonner un duo de personnages pendant de longues minutes pour se consacrer à un autre duo : Leslie/Maggie puis Leslie/Carina suivi de Maggie/Andy puis Leslie/Rebecca suivi de Jacky/Carina pour finir avec Leslie/Andy. Ce parti pris formel reflète le choc émotionnel dans lesquels vivent les personnages. Andy et Leslie ont des problèmes relationnels avec leur mère, le flic attend qu’elle meure pour partir loin de Hong Kong, York souffre du manque d’affection de Rebecca, sa mère adoptive. Maggie est une exilée qui vient de Macao, la froideur de Leslie la rend triste et amère. Jacky, l’ami de Leslie, ne vit que dans le modèle dégénéré de son mentor. Jamais il n’arrivera à l’égaler. Carina est un personnage toujours proche de la crise. Là aussi les discussions entre les personnages restent en creux comme pour ne pas à donner trop de psychologie. Ce sont les objets qui caractérisent le mieux les personnages de Nos années sauvages : le peigne de Leslie, sa voiture rutilante que Jacky s’accapare pour draguer (en vain), les boucles d’oreille que vole Carina, les vieux disques qui servent de fon sonore et les robes colorées de Rebecca et Carina.

Ce traitement du scénario crée une grande mélancolie qui est accentuée par les choix des décors. Pendant toute la première heure, on a l’impression que Hong Kong est une ville vidée de ses habitants. Les rares scènes d’extérieur se déroulent de nuit, dans des rues vides et sous la pluie (les longues discussions entre Andy et Maggie lors de leurs promenades). Les intérieurs (le lieu de travail de Maggie, l’appartement de Leslie) finissent par devenir étouffant et trop petits pour les personnages qui ne cessent de se disputer. Les murs sont décrépis, sales et verdâtres. Pour échapper à cette asphyxie, les deux hommes vont quitter leur pays. La dernière demi-heure se déroule aux Philippines. Là-bas, la vie ne sera pas meilleure malgré l’espace plus important (la forêt découverte dans le générique d’ouverture, le restaurant où ils vont se battre). Ils sont pris au piège d’un destin qu’ils ne contrôlent pas et qui les broie. Certes, le film n’est pas dépourvu d’afféteries, le cinéaste cherchait encore la ligne forte de son style qui tranchait singulièrement avec les autres productions hongkongaises de l’époque. Le film se termine par une courte apparition de Tony Leung Chiu-wai qui s’habille dans une caravane. Déconnectée du reste du récit, ce personnage était prévu pour lancer une suite immédiate à Nos années sauvages. Elle ne sera jamais tournée.

Nos années sauvages (Days of being wild, 阿飛正傳, Hong Kong, 1990) Un film de Wong Kar-wai avec Leslie Cheung, Andy Lau, Maggie Cheung, Carina Lau, Jacky Cheung, Rebecca Pan, Tony Leung Chiu-wai.

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