Unique
film de Mikio Naruse sorti
en France de son vivant, La Mère
a longtemps été montré dans les ciné-clubs (souvent sous le titre mixte Okasan La Mère) comme exemple du cinéma
néo-réaliste japonais. Toute la famille Fukuhara est présentée en voix off par
la fille aînée Toshiko (Kyôko Kagawa) : Susumo (Akihiko Katayama) son
frère aîné malade et constamment couché, sa petite sœur coquette Chako (Yônosuke
Toba), Tetsuo (Atsuko Ichinomiya) le jeune cousin « adopté » par
Ryosuke (Masao Mishima), le père blanchisseur surnommé Popeye et bien entendu
la mère Masako (Kinuyo Tanaka). L’argent manque à la
famille, le père est criblé de dettes et pour l’instant il est obligé de travailler
en usine tout en espérant pouvoir rouvrir son commerce détruit pendant la
guerre. Qui plus est, la famille élève Tetsuo, fils de la sœur de la mère veuve
de guerre et le fils ne peut pas travailler compte tenu de son état. La Mère n’a pas un vrai récit fort
construit autour des membres de la famille, mais propose plutôt une chronique
avec des saynètes marquantes narrées de manière elliptique (la mort du frère et
du père) et des moments anecdotiques (la petite sœur pleure de sa nouvelle
coupe de cheveux).
La mère va donc vendre des confiseries devant un
cinéma et sympathise avec la dame qui tient un étal à côté. Toshiko tient
également une petite boutique : biscuits chauds en hiver et glaces en été.
Chaque jour, Shinjiro (Eiji Okada) le fils du boulanger vient lui acheter
quelque chose. Il est amoureux d’elle, elle n’ose pas encore se laisser séduire
(elle est si jeune). Ils partagent la même chanson pour la chanson. Lors d’une
kermesse, elle chante un morceau traditionnel avec sa sœur, habillées en kimino
traditionnel, il entonne une chanson moderne. Ce sont deux mondes qui
s’opposent, la tradition contre la modernité. Shinjiro sera un personnage
excentrique et charmant que ne comprennent pas ses parents. Il invite Toshiko a
un pique-nique, prépare un pâté à la forme étrange qu’il appelle Picasso mais
la jeune femme vient, à son grand dam, avec Chako et Tetsuo. Elle n’avait pas
compris qu’il s’agissait d’un rendez-vous galant. Plus tard, elle essaye une
robe de mariée kimono, pour rendre service à sa tante ce qui désespère le jeune
homme persuadé qu’elle va se marier avec un autre.
Cette structure qui alterne les courts moments très
dramatiques avec les plus longues scènes de la vie quotidienne crée une
rythmique forte qui rend le film passionnant, touchant et drôle de bout en
bout. C’est cette vie quotidienne constituée d’éléments neutres qui fournit la
charpente du scénario. Okasan La Mère
est un film d’une grande cruauté pour ses personnages : mort du frère et
du père, Chako ira vivre chez son oncle, Masako, la mère ne se voit même pas
proposer le mariage par Kimura, le collègue de feu son époux. C’est justement
le caractère elliptique des transitions qui permet de supporter tous ces
malheurs. Ainsi la mort du frère est annoncée dans une scène très brève où une
voisine rencontre Toshiko et lui demande si elle va fleurir la tombe de Susumo.
La violence de l’échange, la pudeur avec lequel il est mis en scène et le fait
que Mikio Naruse emmène immédiatement son film vers autre chose, crée une forte
émotion. Le film est formellement d’une grande beauté, plein de surprises
narratives (un carton « FIN » au beau milieu du film) et souvent très
drôle grâce au fils du boulanger et au petit Tetsuo. Tourné entre le génial Le Repas et
l’admirable L’Eclair, Okasan La Mère a tout du chef d’œuvre à
redécouvrir.
Okasan
La Mère (おかあさん, Japon, 1952) Un film de Mikio Naruse avec Kinuyo Tanaka, Kyôko Kagawa, Eiji Okada, Akihiko Katayama,
Daisuke Katô, Yônosuke Toba, Masao Mishima, Chieko Nakakita, Atsuko Ichinomiya,
Noriko Honma, Sadako Sawamura.
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