vendredi 24 mai 2013

Only God forgives


C’est avec un générique en thaï que l’on pénètre dans Only God forgives. Immersion directe dans une salle de boxe thaïe où Julian (Ryan Gosling), Américain exilé à Bangkok, encourage le combattant qui s’apprête à monter sur le ring. Derrière lui, son frère aîné Billy (Tom Burke) fait passer de l’argent, sans doute pour faire un pari. Le frangin ne va pas rester très longtemps dans le récit. Il exige une prostituée mineure dans un bordel. Il veut coucher avec une fille de 14 ans et non pas avec une adulte et encore moins avec une ladyboy qui sont dans la vitrine. Le patron a proposé sa fille et Billy l’a violée puis sauvagement tuée. Le cinéaste ne montre pas ces scènes, préférant l’ellipse, on n’en voit que le résultat. De la même manière, on ne voit pas le père fracasser la tête de Billy. Seul son corps démembré et les grandes taches de sang sont montrés.

La violence, toujours au cœur du cinéma de Nicolas Winding Refn, arrive avec deux personnages. Un flic thaïlandais (Vithaya Pansringarm), habillé en civil et toujours suivis de policiers en uniforme, enquête sur ce double meurtre. Avec une machette qu’il tire de son dos (où est-elle vraiment rangée ?), il tranche le bras du père qui a tué Billy. Comme indiqué plus haut, la violence et les coups sont hors champ (sauf dans trois scènes, celle vue dans la bande annonce où Julian casse un verre sur la tête d’un homme puis le traine par terre, la scène du karaoké et le court combat final entre le flic et Julian). L’imagination du spectateur fonctionne comme dans un film d’horreur, il doit croire aux coups, à la brutalité et cela est avant tout une question d’ambiance. Cela fait la grande différence entre les films de Refn et ceux de Park Chan-wook, par exemple.

Cette ambiance se manifeste grâce aux longues scènes de couloir sur une musique de Cliff Martinez, assez proche de celles que l’on peut entendre dans Shining ou 2001, l’odyssée de l’espace (les morceaux de Ligeti). Cette fois, les références au cinéma de Kubrick sont mieux intégrées. Ces couloirs, magnifiquement cadrés, créent un sentiment d’étouffement et un malaise d’autant plus prononcés que la lumière rouge est abondante (lampions, vêtements, tapisseries, moquettes) et évoquent, immanquablement, le sang qui va couler. Les plans en légère contre-plongée accentuent encore plus le sentiment d’angoisse. Les personnages se déplacent très lentement, parlent peu, ont le regard vide. On dirait tout simplement des zombies. Les rues sont vides ce qui, quand on sait que Bangkok est très peuplée, rappelle la solitude des personnages, comme le faisait Wong Kar-wai dans certains de ses films.

Film de vengeance, certes, mais contre qui ? Quand la mère de Julian arrive (incarnée par une Kristin Scott Thomas déguisée en vieille bimbo, cheveux blonds et tenue d’adolescente), elle cherche à venger la mort de son fils. Mais tout le récit laisse à penser que Julian veut se débarrasser de cette mère particulièrement vulgaire qui traite tout le monde comme de la merde, qui insulte chaque personne qu’elle rencontre et méprise Julian. Dans une scène à la fois superbe et tragique, elle ne cesse de dire du mal de Maï (Ratha Phongam), la petite amie de Julian, en sa présence et l’appelle May. Elle compare la taille de la bite de ses fils, laissant entendre une relation incestueuse entre elle et Billy. Là aussi la complexité sexuelle est abordée. On a compris que Billy est pédophile et sans doute incestueux. Cette mère immorale et ordurière décide alors d’affronter directement le flic (car Julian n’a pas de couilles) dans un karaoké où les filles portent des robes du 18ème siècle donnant la plus belle scène du film.

Quant à Julian, il est clairement masochiste comme le montre la scène de fantasme où Maï l’attache, comme le montre sa volonté de se voir couper les mains, comme le montre son visage tuméfié par les coups du flic. Ryan Gosling est encore plus mutique que dans Drive et encore plus désespéré que Mads Mikkelsen dans Valhalla rising, et c’est plutôt à ce dernier film, le meilleur de Refn, qu’il faut comparer Only God forgives qui décevra forcément ceux qui s’attendent à une nouvelle version de Drive. Cela dit, je crois que la presse dans sa grande majorité a déjà bien montré sa déception. Le film n’est pas dénué d’écueils (une gamine pour faire un peu de bons sentiments), accuse une ou deux longueurs, mais sa richesse formelle (personne ne filme en rouge comme le cinéaste) et son vrai sujet (la misère sexuelle) sont exceptionnels.

Only God forgives (Danemark – France, 2012) Un film de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling, Kristin Scott Thomas, Vithaya Pansringarm, Tom Burke, Ratha Phongam.

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