C’est
avec un générique en thaï que l’on pénètre dans Only God forgives. Immersion directe dans une salle de boxe thaïe
où Julian (Ryan Gosling), Américain exilé à Bangkok, encourage le combattant
qui s’apprête à monter sur le ring. Derrière lui, son frère aîné Billy (Tom
Burke) fait passer de l’argent, sans doute pour faire un pari. Le frangin ne va
pas rester très longtemps dans le récit. Il exige une prostituée mineure dans
un bordel. Il veut coucher avec une fille de 14 ans et non pas avec une adulte
et encore moins avec une ladyboy qui
sont dans la vitrine. Le patron a proposé sa fille et Billy l’a violée puis
sauvagement tuée. Le cinéaste ne montre pas ces scènes, préférant l’ellipse, on
n’en voit que le résultat. De la même manière, on ne voit pas le père fracasser
la tête de Billy. Seul son corps démembré et les grandes taches de sang sont
montrés.
La
violence, toujours au cœur du cinéma de Nicolas Winding Refn, arrive avec deux
personnages. Un flic thaïlandais (Vithaya Pansringarm), habillé en civil et toujours
suivis de policiers en uniforme, enquête sur ce double meurtre. Avec une
machette qu’il tire de son dos (où est-elle vraiment rangée ?), il tranche
le bras du père qui a tué Billy. Comme indiqué plus haut, la violence et les
coups sont hors champ (sauf dans trois scènes, celle vue dans la bande annonce
où Julian casse un verre sur la tête d’un homme puis le traine par terre, la
scène du karaoké et le court combat final entre le flic et Julian).
L’imagination du spectateur fonctionne comme dans un film d’horreur, il doit
croire aux coups, à la brutalité et cela est avant tout une question
d’ambiance. Cela fait la grande différence entre les films de Refn et ceux de
Park Chan-wook, par exemple.
Cette
ambiance se manifeste grâce aux longues scènes de couloir sur une musique de
Cliff Martinez, assez proche de celles que l’on peut entendre dans Shining ou 2001, l’odyssée de l’espace (les morceaux de Ligeti). Cette fois,
les références au cinéma de Kubrick sont mieux intégrées. Ces couloirs,
magnifiquement cadrés, créent un sentiment d’étouffement et un malaise d’autant
plus prononcés que la lumière rouge est abondante (lampions, vêtements,
tapisseries, moquettes) et évoquent, immanquablement, le sang qui va couler.
Les plans en légère contre-plongée accentuent encore plus le sentiment
d’angoisse. Les personnages se déplacent très lentement, parlent peu, ont le
regard vide. On dirait tout simplement des zombies. Les rues sont vides ce qui,
quand on sait que Bangkok est très peuplée, rappelle la solitude des
personnages, comme le faisait Wong Kar-wai dans certains de ses films.
Film
de vengeance, certes, mais contre qui ? Quand la mère de Julian arrive
(incarnée par une Kristin Scott Thomas déguisée en vieille bimbo, cheveux
blonds et tenue d’adolescente), elle cherche à venger la mort de son fils. Mais
tout le récit laisse à penser que Julian veut se débarrasser de cette mère
particulièrement vulgaire qui traite tout le monde comme de la merde, qui
insulte chaque personne qu’elle rencontre et méprise Julian. Dans une scène à
la fois superbe et tragique, elle ne cesse de dire du mal de Maï (Ratha Phongam),
la petite amie de Julian, en sa présence et l’appelle May. Elle compare la
taille de la bite de ses fils, laissant entendre une relation incestueuse entre
elle et Billy. Là aussi la complexité sexuelle est abordée. On a compris que
Billy est pédophile et sans doute incestueux. Cette mère immorale et ordurière
décide alors d’affronter directement le flic (car Julian n’a pas de couilles)
dans un karaoké où les filles portent des robes du 18ème siècle
donnant la plus belle scène du film.
Quant
à Julian, il est clairement masochiste comme le montre la scène de fantasme où
Maï l’attache, comme le montre sa volonté de se voir couper les mains, comme le
montre son visage tuméfié par les coups du flic. Ryan Gosling est encore plus
mutique que dans Drive et encore
plus désespéré que Mads Mikkelsen dans Valhalla
rising, et c’est plutôt à ce dernier film, le meilleur de Refn, qu’il faut
comparer Only God forgives qui
décevra forcément ceux qui s’attendent à une nouvelle version de Drive. Cela dit, je crois que la presse
dans sa grande majorité a déjà bien montré sa déception. Le film n’est pas
dénué d’écueils (une gamine pour faire un peu de bons sentiments), accuse une
ou deux longueurs, mais sa richesse formelle (personne ne filme en rouge comme
le cinéaste) et son vrai sujet (la misère sexuelle) sont exceptionnels.
Only
God forgives (Danemark – France, 2012) Un film de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling,
Kristin Scott Thomas, Vithaya Pansringarm, Tom Burke, Ratha Phongam.
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