mardi 13 avril 2010

Comment Yukong déplaça les montagnes (2) : La Pharmacie


Joris Ivens et Marceline Loridan partent à Shanghai. Passé le générique qui introduit la légende du vieux Yukong qui veut aplatir les montagnes de génération en génération, la carte de la Chine apparaît avec Shanghai comme direction. On visite quelques minutes la ville, le film commençant par un chromo avec un soleil rouge du plus bel effet. Les marchés de légume, des jolis bambins vont à l’école, des gens pratiquent le wushu dans la rue, d’autres du taïchi. L’hôtel où résident les cinéastes s’appelle l’Hôtel de la Paix. Visite d’un restaurant où l’on fait des soupes sucrées pour le petit déjeuner. Visite d’une poste où l’on aide à faire les paquets. Enfin, la pharmacie N°3 où le tournage a duré huit semaines.


La pharmacie est un grand bâtiment dans une rue passante. Vingt quatre employés, hommes et femmes. La pharmacie est ouverte tous les jours, et la nuit aussi. La voix off nous parle de clients et non de patients, sans doute un glissement de langage innocent. Il en passe 1000 par jour. Les pharmaciens reçoivent les gens, leur donnent les médicaments. C’est gratuit pour ceux qui ont une ordonnance, ça coûte 1 yuan sans ordonnance. Ça n’est pas cher, la médecine en Chine. L’un des pharmaciens, un grand à lunettes, montrent à quatre femmes tout ce qui concerne la contraception, l’un des sujets préférés de la cinéaste. La pharmacie s’est dotée d’une salle de soins où un médecin pratique l’acupuncture, médecine ignorée à l’époque en France et que les cinéastes nous font découvrir. La séparation entre les deux lieux a disparu pour mieux servir la population.


La notion de personnages ne devrait pas s’appliquer à un documentaire mais deux pharmaciens se détachent dans La Pharmacie. Le premier est celui dont je viens de parler et qui ne dit pas grand-chose. Il est résigné, ne semble pas faire attention aux discours de ses collègues. Il prépare ses sachets médicamenteux tandis que les autres parlent de politique. Apparemment, il a été marqué par la Révolution Culturelle qui, comme d’autres, l’a envoyé à la campagne quelques années pour se défaire de son intellectualisme. Chaque semaine, le personnel se réunit pour une Assemblée Générale où la critique des uns aux autres est le passe-temps favori. Une des questions essentielle est de savoir si la pharmacie doit faire des profits ou ne s’occuper que du bien des malades.


L’autre pharmacien qui intrigue porte également des lunettes. Il est petit et a de bonnes joues, sans être gros. Sa spécialité est de râler contre les clients et de contredire ses collègues lors des réunions. Il reconnaît avec un bel éclat de rire qu’il n’a pas un caractère facile. Et ses collègues lui reprochent souvent son tempérament soupe au lait. Pour le spectateur, ce personnage apporte une bouffée d’oxygène dans tous les discours politisés. L’homme raconte quelques anecdotes sur des clients difficiles qui provoquent le rire. La pharmacie travaille avec des paysans de la banlieue de Shanghai. Parfois les pharmaciens se déplacent pour les médicaments et les soins puis aident les paysans, dans le film à ramasser les choux. Parfois, la chef du village vient en ville et vient faire ses critiques avec un grand sourire. On sent alors dans le regard de tous les travailleurs une gêne d’être filmés. La Révolution Culturelle semble les avoir dépossédés de leur individualité. D’ailleurs, dans La Pharmacie, les cinéastes ne filment pas leur vie sociale ou privée (contrairement à Une femme une famille par exemple), comme si seul le travail comptait. Cela aussi est très gênant.


Comment Yukong déplaça les montagnes (2) : La Pharmacie, Shanghai (France, 1976) Un film documentaire de Joris Ivens et Marceline Loridan.


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