mercredi 14 avril 2010

Nuits d'ivresse printanière



Il pleut. Une voiture avance dans la campagne. Dedans, deux hommes. Ils s’arrêtent pour pisser l’un à côté de l’autre avec un sourire complice. Ils reprennent la route et arrivent à une cabane. Ils y rentrent, se déshabillent et font l’amour. Jian Cheng (Qin Hao) domine largement les ébats par rapport à Wang Ping (Wu Wei), son amant. Ils repartent et l’on comprend qu’ils sont suivis par un troisième homme, Luo Haitao (Chen Sicheng) engagé par Lin Xue (Jiang Jiaqi), l’épouse de Wang Ping qui a bien compris qu’il a une aventure extra conjugale mais qui ignore qu’il la trompe avec un homme.


La confrontation entre les trois se passera très mal. Ils se rencontrent d’abord dans un café, la femme quitte bouleversée les lieux et laisse les deux amants. Puis Lin Xue va au travail de Jian Cheng, renverse les objets, jette les feuilles en l’air et le menace. Elle ne veut plus que Wang Ping le voie. Et effectivement, Jian Cheng ne répondra plus aux appels de son amant. Il va passer à autre chose. Il passe dans la boîte de nuit qu’il semble bien connaître et se travestit pour exécuter un numéro chanté. Luo est dans la discothèque, il le regarde et ils vont partir ensemble chez Jian Cheng. Le jeune homme est irrésistiblement attiré par Jian.


Le passage à l’acte de leur relation sexuelle n’aura pas lieu tout de suite. Jian est échaudé par ce qui vient de lui arriver. Et Luo ne sait pas bien où il en est. Alors ils partent faire la fête en boîte de nuit avant d’aller plus loin. Et puis Luo présente sa petite amie officielle à son amant potentiel pour engager une sorte de ménage à trois qui ne dit pas son nom. La relation est complexe, Luo ne se donne pas facilement – mais il se donnera à Jian – et Wang Ping se suicide parce que Jian ne lui donne pas de nouvelles.


Ce qui frappe d’abord dans Nuits d’ivresse printanière, c’est l’extrême tristesse de tous ses personnages. Lou Ye n’a jamais été un optimiste mais ici il filme la dépression amoureuse de ses jeunes Chinois. La plupart des scènes est à peine éclairée, filmée dans une quasi obscurité qui offre un aspect documentaire. La caméra est nerveuse et portée à bout de bras. C’est filmé dans l’urgence et dans la clandestinité puisque Lou Ye a été interdit de tournage officiel par le Bureau du Cinéma Chinois. Avec ce film, qui dénonce par ailleurs le libéralisme outrancier en montrant un patron arrogant qui vire ses employés sans vergogne, il n’y a pas beaucoup de chance que le cinéaste puisse tourner à nouveau dans des conditions normales.


Ce qui permet au spectateur de ne pas tomber dans le marasme le plus profond et noir en voyant Nuits d’ivresse printanière est le jeu de Qin Hao pour son personnage de fêtard, queutard et égoïste. Avare de parole, Jian Cheng est pourtant l’incarnation vivante du charme. C’est pour cela que les hommes tombent amoureux de lui. Son regard transperce, il sait être irrésistible. Chemise légèrement ouverte, fumant une cigarette, il séduit par sa seule présence. Le jeune Luo, insouciant et en quête d’amour, va devenir sa proie consentante. Mais parfois Lou Ye n’a pas confiance en la force de ses personnages et il lorgne du côté de Wong Kar-wai avec des recherches esthétiques un peu forcées. Mais le film reste fort sur le mal-être des jeunes Chinois d'aujourd'hui écartelés entre leur bonheur personnel et le conformisme de la société.


Nuits d’ivresse printanière (春風沉醉的晚上, Chine – France – Hong Kong, 2009) Un film de Lou Ye avec Qin Hao, Chen Sicheng, Tan Zhuo, Wu Wei, Jiang Jiaqi.

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