dimanche 6 janvier 2008

Succession par l'épée


Succession par l'épée est dans une tradition du wu xia pian bien particulière : celle de la comédie fantastique. Le fleuron en est le superbe film de Tsui Hark Zu les guerriers de la montagne magique. D'autres productions de la Film Workshop sont à rapprocher de Succession par l'épée, tels les deux premiers Histoires de fantômes chinois ou Swordsman II, tous trois réalisés par Ching Siu-tung.

On connaît l'immense carrière d'acteur d'Eric Tsang, ce petit rondouillard à la voix nasillarde qui enchante bon nombre de comédies cantonaises depuis des lustres (ils donne le meilleur de lui-même dans Men suddenly in black de Pang Ho-cheung – j'y reviens encore et toujours). Il sait aussi inquiéter quand ils se fait monstrueux (son rôle de chef de gang dans les Infernal affairs de Lau et Mak). Il est un second rôle que l'on attend avec impatience dans beaucoup de films qui n'auraient pas mérités d'être vu sans lui. Bref, vous l'aurez compris, je vénère Eric Tsang. En revanche, on connaît moins bien sa courte carrière de cinéaste. Un vingtaine de films entre 1979 et 1996, dont les deux premiers Mad mission et ce Succession par l'épée.

Contrairement à mon habitude, je ne vais pas tenter de raconter le film tant cela serait difficile. C'est un scénario extrêmement foisonnant et, pour dire la vérité, on s'en moque un peu. Il y est question de savoir qui deviendra le Souverain de la Justice, titre suprême des meilleurs artistes de kung-fu. Tous les 18 ans, ce Souverain remet son titre en jeu et doit affronter ses challengers. Succession par l'épée fait d'abord mine de commencer comme un wu xia pian dans la grande tradition, c'est-à-dire dans une auberge, où des méchants viennent voler des clients. Mais très vite, Tsang amène son film vers les contrées plus joyeuses de la comédie loufoque.

Il faut dire qu'un des rôles principaux est tenu par Ng Man-tat qui ne lésine pas sur les grimaces (sa bouche a une déformation) et qui cabotine pour notre plus grand plaisir. A ses côtés se trouve Deannie Yip, qui joue sa femme, qui elle a un œil de travers. Ils ne cesseront de se disputer pendant tout le film avec une forte propension pour les blagues salaces à caractère sexuel. A un moment, Ng Man-tat absorbe un puissant aphrodisiaque – contre son gré – et Yip et leur fiston adoptif (Andy Lau) l'amène à l'écurie. Yip et Lau pensent que Ng va s'enfuir pour ne pas semer le trouble, mais Ng choisit une autre solution : se calmer avec la jument. L'humour est énorme mais passe comme une lettre à la poste, pour peu qu'on y soit réceptif.

Succession par l'épée propose une distribution de rêve. On y trouve quelques uns des acteurs les plus fameux de l'heure de gloire de la Shaw Brothers : Wong Yu, Fan Mei-sheng, Fung Hark-on entre autres qui incarnent les compagnons d'arme de Ng Man-tat et Deannie Yip. Ils sont connus comme étant les 10 Criminels bien qu'ils ne soient plus que huit. Ils sont tous habillés et coiffés comme dans un Shaw Brothers, mais ce qu'ils font n'a rien à voir avec l'âge d'or du film d'arts martiaux. Et c'est ce décalage qui rend le film si drôle.

Andy Lau n'est pas en reste dans le rôle d'un jeune homme élevé pour être le criminel le plus méchant de Chine. Il provoque surtout quelques catastrophes et tombe amoureux de Brigitte Lin (qui joue un personnage androgyne comme dans Swordsman II), or il s'avèrera qu'elle est sa demi-sœur. Francis Ng est aussi de la partie dans un personnage de jeune homme faible qui s'avèrera le plus retors de tous pour devenir le Souverain de la Justice.

Le scénario de Succession par l'épée apporte son lot de trahisons, de quiproquos, de coups de théâtre et de personnages hauts en couleur. Eric Tsang soigne aussi l'aspect purement visuel inhérent au genre. Couleurs vives (bleu et rouge), costumes sublimes (ceux de Cheung Man et Brigitte Lin impressionnent), mouvements des drapés (les vêtements virevoltent avec ce son si particulier que seul Hong Kong produit), et ce qui plaît le plus sont les défis constants à l'apesanteur. Les personnages volent dans les airs, traversent le cadre dans tous les sens, se croisent et s'entrechoquent dans une harmonie quasi poétique. Pas d'effets spéciaux, juste quelques trampolines et des câbles (parfois visibles par ailleurs). Mais à l'heure du tout numérique (Hero ou Wu Ji la légende des cavaliers du vent) qui semble nous dégueuler dessus, il est bon de pouvoir admirer de l'excellent travail d'artisan d'Eric Tsang. Oui, je le vénère...

Succession par l’épée (Handsome siblings, 絕代雙驕, Hong Kong, 1992) Un film d’Eric Tsang avec Andy Lau, Brigitte Lin, Cheung Man, Francis Ng, Ng Man-tat, Anita Yuen, Stanley Fung, Michael Mui, Richard Ng, Shing Fui-hon, Josephine Koo.

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