La première partie de
Il n'y a pas de plus grand amour dure 3h21 coupé en son milieu par un entracte. Il ne faut pas avoir peur de cette durée à laquelle les spectateurs sont désormais habitué (voir la trilogie du Seigneur des Anneaux). Masaki Kobayashi réussit à tenir son récit, à faire exister chacun de ses personnages tout en maintenant sa volonté de faire de son film un éloge de l'humanisme. On pense à l'essai de la philosophe Hannah Arendt sur le totalitarisme où, en substance, elle dénonçait la primauté de l'Etat avec, à sa tête, un chef omniscient, Etat qui privait les citoyens de leur individualité. Les hommes ne sont plus qu'une entité globale vouée à l'obéissance au chef. La finalité du totalitarisme se trouve dans l'univers concentrationnaire, et c'est vers ce lieu que nous pousse Il n'y a pas de plus grand amour.
Kaji (Tatsuya Nakadai) est un homme instruit. Il tente d'échapper à la mobilisation dans l'armée du Japon (le film commence en hiver 1943) en se mariant avec Michiko (Michiyo Aratama) et en acceptant d'être l'administrateur d'une mine en Mandchourie du sud, alors colonie japonaise. Là bas, pas moins de 10000 Chinois travaillent à extraire le minerai sous les fouets de gardes japonais. Les travailleurs sont mal payés mais " libres ". Les autorités militaires proposent 600 prisonniers. L'avantage est grand pour la mine puisqu'il n'y aura pas besoin de les payer. Les 600 prisonniers sont livrés par train dans des wagons à bestiaux. Ils en sortent tels des animaux, affamés, après un long trajet où ils ont eu du mal à respirer. Kaji mettra tout en œuvre pour rendre à tous les travailleurs, y compris les prisonniers, des conditions de vie plus humaines. Il va se mettre à dos à la fois les dirigeants de la mine, les militaires et les prisonniers qui ne lui font pas confiance.
Kobayashi pose l'essentiel de son attention sur les prisonniers. Ils sont placés dans un campement à part entouré de fils barbelés électriques. Kaji croit savoir qu'ils ne pensent qu'à s'évader. Mais Okishima (Sô Yamamura) reste persuadé qu'ils ne pensent qu'aux femmes. D'ailleurs dans le village à côté de la mine se trouve un bordel pour " soulager " les travailleurs. Kaji convainc les prostituées de visiter les prisonniers. L'une d'elles va d'ailleurs tomber amoureuse de Kao, l'un des leaders des prisonniers avec qui Kaji négocie le calme pour éviter de mauvais traitements. Kao aimerait même se marier avec elle après la guerre. De son côté, Kaji est le seul parmi les Japonais à avoir une épouse. La vie du couple est difficile. Les moments d'intimité sont devenus au fil du temps de plus en plus rares. Alors que Kaji avait réussi à avoir trois jours de vacances. On annonce des évasions, Kaji laisse partir Michiko seule et va empêcher Okishima d'exécuter les évadés.
Les collègues de Kaji lui font rapidement le reproche d'avoir trahi le Japon en voulant améliorer la vie des prisonniers. Ils vont tous se liguer pour se débarrasser de Kaji en organisant un guet-apens avec l'aide du soldat Chen (Akira Ishihama). Son destin sera le plus pathétique de Il n'y a pas de plus grand amour. Chen est Chinois mais est dans l'armée du Japon. A ce titre, personne ne lui fait confiance et lui aussi est considéré comme un traître. Il est tiraillé entre ses obligations militaires et ses sentiments patriotiques. Chen a une mère mourante et essaie de trouver de la farine, mais personne ne veut lui en donner. La nourriture est un des éléments importants du film. Elle devient punition quand Kaji promet aux prisonniers de ne pas manger pendant trois jours s'ils s'évadent à nouveau. Elle devient corruptrice quand Chen vole de la farine en échange de son silence pour couper l'électricité dans la centrale et permettre une évasion. Kobayashi résume son importance dans deux scènes successives où une prostituée apporte une maigre pitance à Kao qui meurt de faim puis où Michiko ramène de la ville un panier rempli de pommes auxquelles Kaji ne touchera même pas.
Kobayashi a bien entendu choisi le camp de la liberté. Il rend poignant le sort des prisonniers comme le destin de Kaji. Mais la réussite de Il n'y a pas de plus grand amour doit beaucoup aux magnifiques images qui gisent dans un gris constant, la notion de film en noir et blanc s'envole. Kobayashi sait tirer le maximum des décors naturels (le film a été tourné sur l'île de Hokkaido). On retiendra longtemps la scène où des milliers de prisonniers se suivent en file indienne, celle des prisonniers qui sortent des wagons et vont se ruer sur les sacs de riz ou encore l'exécution de prisonniers au sabre par un officier sauvage. Il y aurait tant d'autres choses à dire sur le film, le mieux est encore de le voir.
Jean Dorel
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