Chiu (Leslie Cheung), blouson de cuir et lunettes noires, passe un examen de cuisine pour pouvoir émigrer à Toronto où un restaurant cherche des cuisiniers chinois. Mais il ne sait pas cuisiner. Il a choisi de faire du porc sauce aigre-douce et son plat est brûlé. Qu’à cela ne tienne, il a dans sa poche tout un assortiment de plats tout prêts mais la supercherie est révélée. Il veut partir de Hong Kong et Le Festin chinois évoque l'angoisse légitime que ressentait la population de Hong Kong à l'approche de la rétrocession où la jeunesse est tentée par l’exil américain.
Chiu va rencontrer Ho (Chiu Man-chuk), un chef cuisinier (qui parlera pendant tout le film en mandarin). Ho va conseiller à Chiu d’aller se faire engager dans le restaurant de Au (Law Kar-ying). Le pauvre homme est un peu débordé par les excès de sa fille Wai (Anita Yuen), une pimbèche qui se teint les cheveux en rouge, porte des vêtements extravagants et un maquillage outrancier. Elle lui parle en anglais, encore un ravage de l’américanisation de la société pour Tsui Hark. Elle ne rêve que de devenir chanteuse mais elle chante horriblement faux, ce qui donne une séquence très drôle où elle tente d’interpréter une version cantonaise en chinois.
Chiu va travailler pour Au mais Wong Wing (Hung Yan-yan) défie le vieux cuistot pour s’emparer de son restaurant. Un peu à la manière des wu xia pian où les sifu se défiaient entre eux pour s’accaparer les écoles d’arts martiaux. Au, à cause des facéties de sa fille, a une crise cardiaque. D’autant que le travail de Chiu n’est guère convaincant. Le cuisinier et ses hommes lui lancent des défis qu’il ne peut relever comme de tuer pour le repas un énorme poisson récalcitrant. Ho conseille d’aller voir Kit à Canton, le seul qui pourra relever le défi du festin impérial qui comprend des dizaines de plats tous plus élaborés les uns que les autres.
Cinq ans auparavant, Ho avait rencontré en compétition l’un des meilleurs cuisiniers de Hong Kong, Kit (Kenny Bee). Ce dernier avait abandonné la compétition pour rejoindre sa femme en train d’accoucher mais, arrivé trop tard, il se retrouve seul. Il va partir à Canton et sombrer dans l’alcoolisme jusqu’à perdre tous ses sens, dont le goût et l’odorat. Encore un hommage au wu xia pian, Ho, Chiu et wai vont entraîner Kit comme un combattant dans des saynètes comiques où il va retrouver ses sens. On lui met des morceaux de glace dans la bouche, puis un sèche-cheveux. On expurge de son nez toutes les saletés. On le remet en forme mais sa cuisine n’est pas encore au point et le défi est pour dans quelques jours.
C’est à ce moment que le morceau de bravoure du Festin chinois va commencer. L’affrontement entre l’arrogance de Wong Wing et la modestie de Kit et de ses comparses. Le Festin chinois est alors une joyeuse comédie où Tsui Hark mélange deux des ingrédients qui fondent les racines de la culture chinoise : l'art culinaire et l'art martial. On retrouve ce qui fait le récit classique : défi entre deux écoles différentes, retour du héros déchu, son entraînement pour recouvrer sa force et pour finir le combat final. Cet affrontement final pour préparer le Festin Impérial est là aussi filmé avec la précision d'un combat d'art martial. Et cette séquence finale, qui dure plus de vingt minutes est d'une grande beauté. Un régal. Hung Yan-yan manie les couteaux comme d’autres le nunchaku. Le défi du festin Qin et Han permet de regarder la préparation de plats inattendus. Une patte d’ours, de la cervelle de singe. Qu’on se rassure, aucun animal n’a été malmené pendant le tournage.
A priori léger, Le Festin chinois développe une position politique à laquelle Tsui Hark adhère. Tsui, que ce soit dans L'Enfer des armes ou dans Il était une fois en Chine, a toujours fustigé l'influence néfaste que peut avoir l'occident sur la Chine. On pourrait décrire cette position du nationalisme. Ici, il le fait plus subtilement. Film léger, mais à l'humour énorme. Et ce sont les deux jeunes attirés par l'occident qui font rire par leur bouffonnerie. Anita Yuen est géniale en fille vulgaire et peinturlurée est hilarante. Leslie Cheung en jeune prétentieux qui n’arrive pas à admettre son amour à Anita Yuen. Autre exemple d'humour typiquement burlesque : lors d'une course poursuite, Anita est accrochée à un parapet et manque de tomber. Leslie va pour la sauver, mais elle s'agrippe à ses vêtements qui se déchirent, et Leslie termine en caleçon. Ces deux jeunes qui récusent la tradition sont montrés comme grotesques. Dès lors qu'ils vont commencer à s'intéresser à la cuisine, plus par nécessité que par envie, ils deviendront respectables et Tsui Hark les filmera non plus en tant qu'enfants gâtés et ridicules mais en tant que symbole d'une jeunesse exemplaire.
On l'a déjà dit, Le Festin chinois est une comédie familiale qui se permet, outre les références aux films d’arts martiaux, de se moquer de son propre cinéma avec une séquence où les amis de Chiu, qui ont des soucis avec un petit mafieux, cherche un flingue caché dans la pièce comme dans The Killer. La fin sera forcément heureuse. Les gentils seront récompensés de leur effort. Les méchants seront punis pour leur mesquinerie. Et bien sûr, on s'en doute, Chiu et Wai qui n'arrêtaient pas de se chamailler tout au long du film, après s'être séduits mutuellement, finiront par s'aimer d'un amour véritable. Tout peut se terminer en souhaitant, avec toute l'équipe du film réunie dans le dernier plan, une bonne année aux spectateurs. Quel bon film !
Le Festin chinois (The Chinese feast, 金玉滿堂, Hong Kong, 1994) Un film de Tsui Hark avec Leslie Cheung, Anita Yuen, Chiu Man-chuk, Hung Yan-yan, Kenny Bee, Law Kar-ying.
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