Guerre des gangs à Mongkok. Des policiers traquent un tueur venu de Chine inexpérimenté qui va rencontrer une prostituée bien malgré elle. Derek Yee dresse un noir portrait de sa ville.
Il aura fallu plus de deux ans pour que l'on puisse enfin découvrir ce Une nuit à Mongkok qui a rencontré à Hong Kong un grand succès public et critique. Derek Yee nous est encore inconnu en tant que cinéaste. Ce frère de l'acteur David Chiang a commencé à la Shaw Brothers pour se lancer tardivement dans la mise en scène. Jusqu'à présent il s'était contenté de comédie romantique. Une nuit à Mongkok fait partie de cette vague de polars post John Woo dont a pu découvrir récemment La Voie du Jiang Hu de Wong Chin-po, PTU et Election de Johnnie To ou encore SPL de Wilson Yip qui montrent l'univers peu romantique des triades. Ce qui rassemble ces films est de rendre plus réelle la violence des rapports entre les triades et les policiers. Une nuit à Mongkok en est l'exemple le plus marquant.
Mongkok est le quartier le plus peuplé et le plus pauvre de Hong Kong. Au beau milieu de la rue bondée, des vendeurs de contrefaçons se disputent les faveurs d'éventuels clients. Une bagarre éclate entre deux bandes rivales. L'affrontement continue dans un bar puis sur l'autoroute ce qui provoque la mort de Tiger, un jeune chef de bande, par la faute de Franky. Du coup, les triades se mettent à se menacer et notamment Tim, le père de Tiger, qui veut éliminer son ennemi Carl, le père de Franky. Tim demande à Liu (Lam Suet) d'engager quelqu'un pour tuer Carl. Liu appelle un de ses cousins qui habite en Chine Populaire pour exécuter ce contrat. Lai Fu (Daniel Wu) appâté par l'argent arrive avec un visa de 24 heures. Cette journée à Mongkok va être la pire de sa vie.
Seulement voilà, l'inspecteur Milo (Alex Fong Chung-sun, à ne pas confondre avec l'acteur comique Alex Fong Lik-sun), las de tous ces affrontements, va tenter d'éviter le drame. Il est persuadé que Liu, par ailleurs vendeur avec sa femme de téléphones portables, connaît l'identité du tueur et va l'interroger. Liu est pris au piège entre Milo et Tim, le chef de triades impitoyable, et va dénoncer Lai Fu malgré les liens familiaux qui les unissent. Lai Fu est illettré. Il vient de la campagne chinoise et ne parle que le mandarin, incapable de comprendre le cantonais que parlent tous les habitants de Hong Kong. Illettré certes mais plutôt malin. Il se rend assez vite compte qu'il s'est fait lâcher par son cousin et va errer dans Mongkok.
Après avoir changé d'hôtel, il se retrouve dans une maison de "Demoiselles" où il tombe sur Dan Dan (Cecilia Cheung) qui se fait taper dessus par son mac, le violent Walter. Dan Dan vient de la même région que Fai Lu. Elle est venue à Hong Kong pour gagner de l'argent facilement. Elle adore s'acheter des choses, si possibles clinquantes et brillantes : montres, bijoux et sacs à main de marque. Ils continuent leur route ensemble.
Elle ne sait pas qu'il est un tueur, elle le prend pour un campagnard idiot. Lai Fu veut aussi retrouver une amie de sa région, Sue, qui s'avère être la petite amie de Tiger. Elle a été gravement brûlée dans l'accident de voiture qui a causé la mort de Tiger. Quand Dan Dan comprend à qui elle a à faire, elle choisit malgré tout de rester avec Lai Fu et les deux vont affronter à la fois la police et les triades.
Le scénario est fourni. Mongkok a beau être un petit quartier, ses personnages doivent sans cesse se cacher pour tenter d'échapper à leur destin. Lai Fu en visite temporaire est d'emblée perdu au milieu d'une foule compacte. Avec ses petites lunettes, sa chemise bien repassée et son duffle-coat, il a tout du gentil garçon pris dans un engrenage dont il ne contrôle rien. Abandonné par Liu, puis traqué par les hommes de l'inspecteur Milo, il trouve en Dan Dan une compagne de fuite idéale. Or Dan Dan est elle-même une fille paumée. Son apparente vanité pour tout ce qui brille cache une volonté de ramasser de l'argent pour pouvoir retourner en Chine avec de quoi mieux vivre pour elle et sa famille. Derek Yee touche du doigt le mirage économique que promet Hong Kong et son revers, la réalité concrète faite de désillusion et de mépris de la part des Hongkongais pour leurs frères du continent.
Face à eux, le cousin Liu ne vaut pas mieux. Exemple typique du malfrat minable, il s'habille avec une chemise kitsch et des lunettes de soleil qui le font ressembler à un mac de bas étage. Et Lam Suet excelle dans ce genre de rôles de ringard lâche. Sa femme est du même tonneau. Toujours à hurler, on la sent prête à vendre son père et sa mère pour quelques dollars de plus. A partir du moment où Liu sent que toute cette histoire le dépasse, il accepte les compromis avec la police, et trahit Lai Fu, pour sauver sa peau et son commerce de portables. Liu est le personnage type de celui qui part pécher au gros sans canne ni filet et qui se noie après avoir fait chavirer son bateau. L'inconscient prétentieux par excellence.
De l'autre côté de la loi, la police est aussi prise au piège. L'inspecteur Milo est chargé de l'affaire, mais sa mélancolie le rattrape. Ses hommes le soutiennent mais sa hiérarchie le méprise. Quand il lance la grande opération nocturne pour attraper Fai Lu, il réquisitionne tous les policiers disponibles. Seulement voilà, cette nuit à Mongkok est la nuit de Noël. Adieu les repas en famille et le réveillon. Tout cela rend les forces de l'ordre encore plus nerveuses qu'à l'accoutumer. La poursuite est si longue et fatigante qu'ils n'ont pas le temps de s'arrêter pour manger, ce qui augmente la tension chaque fois d'un cran au fur et mesure que les heures s'écoulent.
La majeure partie de Une nuit à Mongkok se déroule de nuit. On pense à The Longest nite et à PTU pour cette volonté de tenir cette unité d'action en quelques heures. Derek Yee a deux atouts majeurs pour se démarquer de ces films. Il filme en caméra à l'épaule ce qui donne un réalisme intriguant. Les scènes de violence qui ponctuent le film sont elles aussi très vives, très crues, mises en place par Chin Kar-lok, qui joue une des flics. Les ruptures de ton entre les bastons et les déambulations ne laissent jamais le temps au spectateur de reprendre son souffle, et donnent, au contraire, son rythme haletant à Une nuit à Mongkok. Derek Yee s'est également entouré de Peter Kam pour la musique de son film. Compositeur reconnu à Hong Kong, sa partition participe de ce rythme autant qu'à la grande époque de Tsui Hark avec James Wong.
Une nuit à Mongkok est une belle réussite. Les acteurs du film sont brillants. Choisir des stars pour interpréter des Chinois n'était pas évident, mais Daniel Wu en garçon timide et Cecilia Cheung en femme perdue sont merveilleux. Une nuit à Mongkok a permis à Alex Fong de relancer sa carrière après un long passage à vide. Derek Yee l'a à nouveau employé dans son plus récent film Drink drank drunk sorti en août 2005.
Quant à Lam Suet, ses apparitions sont, comme toujours, dignes des plus grands. Cet acteur fétiche de Johnnie To habitué aux seconds rôles qui font la quintessence du cinéma de Hong Kong mériterait un premier rôle. En attendant, il apporte un peu de couleur au milieu de ce monde de noirceur, dans ce bijou de polar qu'est Une nuit à Mongkok.
Jean Dorel
Une nuit à Mongkok (One nite in Mongkok, 旺角黑夜, Hong Kong, 2005) Un film de Derek Yee avec Cecilia Cheung, Daniel Wu, Alex Fong Chung-sun, Lam Suet.
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