Cinq ans après Les Larmes de Tigre Noir, le nouveau film de Wisit Sasanatieng, Citizen Dog, s'avère être une agréable surprise. Son univers est toujours aussi flamboyant mais surtout plus maîtrisé. Citizen Dog est un conte. Comme souvent dans le conte, il ne faut pas chercher le naturalisme chaque plan. On ne le cherche pas dans les films de Tim Burton, et on ne va pas reprocher à Sasanatieng d'inventer sa Thaïlande. Le kitsch volontaire et assumé de Les Larmes de Tigre Noir finissait par lasser à force de ne proposer aucune variation. Depuis, le cinéaste s'est beaucoup amélioré abandonnant au passage une bonne partie de sa roublardise. Et c'est tant mieux.
L'idée qui sous-tend Citizen Dog est à la fois simple et monumentale : créer un univers imaginaire et cohérent à partir d'une réalité connue et identifiable par tous. Ainsi Pott, notre héros, est un jeune campagnard. Mais la campagne qu'il quitte pour Bangkok est la même que celle du film précédent, colorée et kitsch. Le décor urbain est toujours inventé mais plus sobre : la maison de Pott a des visages peints sur la façade, dans les rues les panneaux des magasins sont indifféremment en anglais, français ou thaï.
Lé réalisme vient de la vie quotidienne. Pott une fois arrivé à Bangkok doit travailler. Il se fait engager dans une usine de confection de boîtes de sardines à l'huile. Il sera aussi liftier dans une grande entreprise puis chauffeur de taxi. Dans la sardinerie, les cadences de travail sont dures. Cela Wisit Sasanatieng le dit. Mais c'est la manière qui ici change toute la donne. Il montre la dureté du travail en hommage au Metropolis de Fritz Lang, mais utilise les sons pour créer de la musique comme dans Dancer in the dark. C'est ce grand écart, réussi, qui plaît.
Et dans la rue, les gens chantent. Car Citizen Dog est aussi une comédie musicale. Le film est émaillé d'une petite dizaine de chansons pop en thaï qui fonctionnent comme dans toutes les comédies musicales : elles expriment les sentiments des personnages. Pour autant n'importe qui peut chanter sans que la voix ne change. Tantôt triste, tantôt drôle, chaque chanson se veut une pause, un moment pour reprendre son souffle dans le récit débridé. Car les aventures de Pott partent dans tous les sens sans souci de vraisemblance. L'important est qu'on y croit, et on y croit à partir du moment où les artifices de Citizen Dog sont acceptés. Puisqu'on est dans un conte, il y a un narrateur : c'est Pen-ek Ratanaruang. Le réalisateur de Monrak transistor est un ami de Wisit et sa douce voix décrit sérieusement l'histoire du doigt perdu de Pott qu'il retrouve dans la main d'un de ses collègues de travail, ce dernier, Yott deviendra son meilleur ami.
Tout Citizen Dog est de cette fantaisie. Pott a un voisin motard qui mourra à cause d'une pluie de casques de moto. Mais même mort, le motard continuera d'amener Pott à son travail en moto. Dans cette galerie de personnages décalés citons le type qui passe son temps à tout lécher, la gamine de 22 ans et son ours en peluche qui parle, la grand-mère qui se réincarne en gekko, une sorte de salamandre, des héros d'un roman photo qui rentrent dans le film et Yott, le meilleur ami de Pott, qui est bien frappé aussi. Et chacun va au bout de ses obsessions, tout comme Wisit Sasanatieng va au bout des idées de mise en scène.
On n'oublie pas le personnage féminin principal. Elle s'appelle Jinn, elle est une collègue de travail de Pott. Elle fait le ménage dans l'entreprise. Elle lit un livre blanc dont on comprendra plus tard qu'elle ne saisit pas le sens : il est écrit en italien. Puis Jinn, toujours indifférente à l'amour que lui porte Pott, deviendra une pasionaria de l'écologie cherchant à éradiquer Bangkok de toutes ses bouteilles en plastic. Pott n'en peut plus de l'aimer, il voit tout le monde avec le visage de Jinn, ou tout le monde habillé comme elle en robe bleue.
Citizen Dog est plaisant. Parfois très drôle, comme dans la séquence qui décrit les diverses réincarnations de la grand-mère de Pott. La naïveté du film touche souvent. Mais Wisit Sasanatieng tient son film. Chaque scène menace de tomber dans le ridicule, mais ça fonctionne. Encore faut-il avoir envie de s'amuser. Dans ce cas, Citizen Dog est un bonheur pendant 90 minutes.
Jean Dorel
Citizen Dog (หมานคร, Thaïlande, 2005) Un film de Wisit Sasanatieng avec Mahasamut Boonyaruk, Saengthong Gate-Uthong, Sawatwong Palakawong Na Autthaya, Nattha Wattanapaiboon, Raenkum Saninn, Pakapat Bunsomtom, Pattareeya Sanitwate, Phasin Maloyaphan, Chuck Stephens, Akranee Inyotha, Butsara Ong-art, Sukhon Khanjaroen, Manoon Thaiyanan, Thatsanai Chaisap, Gerard Fouquet.
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