Wong Jing est producteur. Herman Yau a mis en scène. Anthony Wong est l’interprète principal. Ebola syndrome est un film difficile à ranger dans un genre. Mais le film est classé Catégorie III. On a beau être habitué depuis des années à voir sur les écrans des horreurs partout, on a parfois du mal à ne pas souffrir devant Ebola syndrome. Les journaux télévisés nous apportent leur flot de mauvaises nouvelles, de la guerre en Irak et d'ailleurs. Les séries américaines, telles Oz, n'hésitent plus à devenir réalistes, jusqu'au dégoût. Certains films sont de plus en plus crus : aux Etats-Unis, Cabin fever et Hostel de Eli Roth (deux films que j'aime par ailleurs), au Japon, une bonne partie de l'œuvre de Takashi Miike (Ichi the killer, les vingt dernières minutes de Audition et Imprint) est d'essence violente, en Corée, les films de Park Chan-wook font mal. Mais Ebola syndrome reste un modèle – inégalé – dans le genre du film violent.
Pour bien faire, il faudrait que je raconte par le détail le scénario de Ebola syndrome. Depuis la séquence introductive où Anthony Wong éructe, grimace, viole une femme, se fait tabasser et tue trois personnes sous les yeux d'une gamine, le tout en à peine cinq minutes. Jusqu'à la scène finale où la Police tente de maîtriser ce fou furieux dans les rues bondées de Hong Kong. Il faudrait raconter chaque scène. Montrer comment Herman Yau les filme joliment, comment il cadre un viol, un coït, une branlette. Expliquer comment son expérience de directeur de la photographie lui permet de rendre cinématographique un meurtre. C'est uniquement par le détail qu'il faudrait parler et critiquer Ebola syndrome. Mais cette évocation ne rendrait rien de ce que l'on ressent devant le film.
Car si l'on supportait les scènes de torture dans Hostel ou dans Old boy, c'est parce que l'on savait que le personnage subissait une injustice, qu'il était une victime. Quand Anthony Wong dit au voisin, qui vient de découvrir trois cadavres dans l'appartement, alors qu'il s'apprêtait à brûler vive la gamine, " je les ai tués, qu'il y a t il de mal à ça ? ", on se dit que l'on est en train de regarder un film où le héros est une incarnation pure du Mal. C'est ce qui fait toute la différence avec les films cités plus haut. Une question simple de spectateur vient à l'esprit : comment s'identifier au personnage d'Anthony Wong ? Est-ce seulement possible ?
Hitchcock aurait dit que plus le méchant est réussi, meilleur est le film. Dans ce cas, Ebola syndrome est un chef d'œuvre. Mais en face du personnage d'Anthony Wong, il n'y a que des faibles, des personnages falots. Aucun n'a son envergure. Lily, devenue plus tard l'hôtesse de l'air, était l'enfant qui a assisté au meurtre de ses parents au début du film, n'est qu'une fade incarnation de personnage positif. Il faudrait essayer d'imaginer Wong Jing, Herman Yau et Anthony Wong autour d'une table en train de discuter du film. " Dans cette scène, tu devras forniquer avec une femme en train de mourir. Ici, tu devras te masturber dans un morceau de viande. Plus tard, tu arracheras avec tes dents l'œil de ta patronne. " Ils ont du bien se marrer, n'est-ce pas ?
Le plus étonnant dans Ebola syndrome, c'est que rien ne semble freiner Herman Yau et son équipe. Dans les autres films, on savait que l'on aurait le temps de reprendre son souffle. Ici, Herman Yau ne nous le donne pas. On passe d'un viol à un meurtre, d'un réflexion xénophobe sur les Blancs ou les Noirs (le film se déroule essentiellement en Afrique du Sud) à des corps en putréfaction, sans oublier du sang à gogo (un des personnages se casse la gueule dans une marre de sang) et un jet de vomi. Le plus crade de tout : Anthony Wong soulage sa frénésie sexuelle en violant une Zulue en train d'agoniser. Son sexe se coince. Il essaie de se dégager en frappant avec une pierre le crâne de la femme. Il contracte le virus Ebola, mais est immunisé par miracle. Un médecin (pauvre caution scientifique) nous affirme qu'un malade sur dix millions est immunisé. Et ça tombe sur ce brave Anthony Wong.
Anthony Wong rentre au restaurant. Il était allé acheté du porc chez des Zulus car ils n'y connaissent rien aux affaires et qu'il en avait marre de se faire avoir par les marchands blancs. A peine affecté par le virus, il veut tout de suite se taper la femme du patron. Ce dernier arrive, s'interpose, mais Anthony Wong le tue. Il s'occupe de la femme (par ailleurs une mégère qui n'arrêtait pas de harceler son employé) et la tue (elle l'avait bien mérité, car le personnage d'Anthony Wong est très mysogine). Pour se débarrasser des corps, il en fait de la chair à hamburger. Les clients adorent la nouvelle recette du chef. Tous attrapent la maladie et meurent les uns après les autres. Ça commence à sentir le roussi et Wong décide de rentrer à Hong Kong où il poursuit sa contamination. Et ainsi de suite.
D'une certaine manière, le spectateur est peu à peu fasciné par l'esprit malsain que dissémine le film. On se demande jusqu'où ils vont aller. C'est cette fascination mêlée de dégoût qui fait la force de Ebola syndrome, nous renvoyant non pas à une peur enfantine du quotidien (comme se faire arracher les dents dans Old boy ou se perdre dans une forêt obscure), mais à la question première de notre conception du Mal et du Bien. Le film ne résout pas ce dilemme mais souligne, jusqu'à la nausée, que notre fascination pour le Mal et plus grande que notre propension au Bien.
Jean Dorel
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