Petit rappel des faits : quelques jours avant l'ouverture du Festival de Cannes 2005, alors que la sélection semblait terminée, on apprenait que Election venait d'être choisi pour être en compétition. Sorti sur les écrans de Hong Kong le 22 octobre 2005, classé Catégorie III, le nouveau film de Johnnie To a remporté un très grand succès auprès du public. Depuis, Election a reçu plusieurs Hong Kong Film Awards : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur (Tony Leung Ka-fai) et meilleur scénario. Depuis, Election 2 est sorti à Hong Kong (autre grand succès) et a été sélectionné au Festival de Cannes 2006 (hors compétition en séance de minuit). Depuis, Johnnie To a tourné Les Exilés (sorti en octobre à Hong Kong) une fausse suite à The Mission. Enfin Election sort sur les écrans français, deux ans après sa conception. Un constat s'impose : les Français sont moins rapides que les Hongkongais.
Johnnie To est le chouchou de la critique française, trop contente d'avoir enfin un nom à mettre sur le cinéma de Hong Kong, comme elle pût le faire avec King Hu ou Tsui Hark. Johnnie To (qui a réalisé quelques uns de ses meilleurs films avec Wai Ka-fai) est l'arbre qui cache la forêt. On s'est empressé d'en faire, lors de la sortie de The Mission en 2001, le nouveau maître du polar, d'en faire un auteur, sans connaître le reste de son œuvre, ses comédies (Justice my foot, Love on a diet), ses romances (Love for all seasons, Yesterday once more), ses films d'action (Lifeline, Heroic trio) et en oubliant surtout que dans l'industrie du cinéma de Hong Kong, ce sont essentiellement les acteurs et les actrices qui font le cinéma. Cela ne diminue pas le talent de To, mais permet de faire une différence majeure entre ses films à star et ses films à lui. Or dans Election c'est un pur Johnnie To bien sombre. Avec des stars. Mais parlons du film.
L'élection en question, un carton introductif nous l'apprend, est celle du chef des triades pour un mandat de deux ans pour lequel s'affrontent deux hommes : Lok (Simon Yam) et Big D (Tony Leung Ka-fai). Lok est soutenu par les Oncles. Calme, il a une vie bien rangée, une épouse et un fiston bien mignon. Il est le candidat idéal pour les triades en recherche de respectabilité. Big D est son challenger déclaré. Solitaire et violent, il menace les " électeurs " en les torturant : en l'occurrence, il les enferme dans une caisse en bois et les balance du haut d'une falaise. Gueulard, il ne cesse de se plaindre du mépris que tous lui portent. Au milieu d'une tentative de démocratie dans un milieu corrompu, Big D apparaît comme un empêcheur de tourner en rond. Seulement voilà, avec tous les blessés qu'il cause, la police commence à vouloir faire régner un peu d'ordre, d'autant qu'elle-même semble soutenir la candidature de Lok. Big D et Lok se cherchent des poux dans la tête, ils s'affrontent, verbalement puis physiquement, ils se manipulent l'un l'autre jusqu'à conclure une alliance pour ne pas mettre en péril les intérêts des triades.
Dans cette bataille de personnalités, Simon Yam et Tony Leung Ka-fai sont parfaits. Yam était très effrayant dans PTU. Son jeu distancié et intérieur dans le rôle d'un flic véreux était à l'opposé de celui pataud et maladroit de Lam Suet, qui fait dans Election une trop brève apparition. Johnnie To choisit de reconduire cet antagonisme avec Tony Leung Ka-fai. Leung, sans cesse en mouvement tel un jeune chiot, toujours à remuer les bras, à avancer la tête, à éructer est un sanguin, un primaire. Prêt à agir au moindre déclic, il est l'antithèse de Yam, ultra réfléchi et posé. Mais ces personnages si bien calibrés se transforment petit à petit, subrepticement. La violence primaire de Big D était en fait de la naïveté et le calme de Lok de la roublardise. La prétendue fraternité des triades est bien mise à mal.
Johnnie To avec Election ne renouvelle pas le genre du film de triade. Et telle n'est sûrement pas son ambition. En plus de ses deux acteurs, Election possède quelques éléments qui devraient ravir les admirateurs du cinéaste. On n'oubliera pas de citer la course poursuite échevelée, à la fois hilarante et pleine de suspense, pour aller récupérer à Shanghai le bâton à tête de dragon du chef des triades pour le vainqueur de l'élection. C'est un véritable ballet de chausse-trappes jouissif et alerte joliment filmé de nuit. On constatera qu'Election est entièrement filmé du point de vue des membres de triades. Dans le film, les rares policiers présents ne sont que des pions, des simples figurants tout juste bons à protéger les pontes mafieux quand ils sont en prison. Et surtout, Election se termine sur une séquence d'une violence inouïe. Aussi terrible qu'efficace. Le cinéma de Hong Kong a souvent glorifié les triades et ses membres dans des polars élégants où les chorégraphies de gunfights étaient d'une beauté à couper le souffle (inutile de citer des titres de films, on les connaît). Johnnie To rappelle simplement que ces gens-là, les mafieux, les corrupteurs, sous leurs apparences de bons pères de famille sont d'abord et avant tout des poisons pour la société et des salauds.
Jean Dorel
Election (黑社會, Hong Kong, 2005) Un film de Johnnie To avec Simon Yam, Louis Koo, Wong Tin-lam, Tony Leung Ka-fai, Nick Cheung, Cheung Siu-fai, Lam Suet, Lam Ka-tung, Tam Ping-man, Maggie Siu, David Chiang, Yao Yung, Wong Chung, Chan Siu-pang, Paul Ng, Cheung Chi-ping, Chiu Chi-shing, Ho Hoi Chau, Robert Hung, Kwan Ching, Kwok Fung, Law Wing-cheong, Jonathan Lee, Lam Man-wai, Ng Yuk-sau, Yu Yuen-yin, Tong Pui-chung, Wong Chi-wai, Raymond Wong Ho-yin, Wong Sze-wan, Wong Wah-wo, Ronald Yan, Yuen Bo, Yuen Bun.
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