mercredi 20 juin 2007

Les Infiltrés


Parce que c’est un film de Martin Scorsese qu’on ne fera pas l’insulte de présenter, mais surtout parce que c’est le remake de Infernal affairs, il semblait indispensable de parler des Infiltrés. Les cas de remake américain de film hongkongais sont si rares – alors que l’inverse est fréquent – qu’il est difficile de s’empêcher de comparer les deux films.

Soit d’un côté, Infernal affairs de Andrew Lau et Alan Mak avec Anthony Wong, Eric Tsang, Andy Lau et Tony Leung Chiu-wai dans les quatre rôles principaux. Un film sorti le 12 décembre 2002 à Hong Kong, énorme succès public dans toute l’Asie, multi primé aux Hong Kong Film Award (meilleur film, meilleurs réalisateurs, meilleur scénario, meilleur montage, Tony Leung meilleur acteur, Anthony Wong meilleur acteur dans un second rôle et meilleure chanson). Un film sorti en France le 1er septembre 2004 dans une indifférence quasi générale. Les deux autres Infernal affairs devaient sortir en salles dans la foulée, mais suite au bide du film, ils n’ont été édités qu’il y a un mois de cela en DVD (avec pour la jaquette du 3 une belle bévue dans le résumé). De l’autre côté, Les Infiltrés de Martin Scorsese avec la plus belle brochette de stars hollywoodiennes vue depuis des lustres : Jack Nicholson, Leonardo DiCaprio, Matt Damon, Mark Wahlberg, Martin Sheen et Alec Baldwin. Un film de 2h30, générique compris. En quinze jours, plus de 100 millions de dollars de recette aux Etats-Unis, ce qui constitue le seul vrai succès commercial de Scorsese. Le film sort comme un blockbuster en France. On remarquera que le scénario est d’un certain William Molahan… Un peu plus et ils indiquaient sur l’affiche que c’était inspiré de Infernal affairs… Tout de même pas…

Qui joue qui ? Matt Damon reprend le rôle de Andy Lau, c'est-à-dire le truand infiltré chez les flics. Leonardo DiCaprio sera donc le flic infiltré dans la mafia, soit le rôle de Tony Leung Chiu-wai. Le film commence avec le personnage de Matt Damon. Il est gamin (c’est un autre acteur) et se voit offrir par Costello à manger, des sodas et un comics. Damon et DiCaprio s’enrôlent dans le Police d’Etat. Tout se passe dans le milieu irlandais. Costello, le chef des truands, c’est Jack Nicholson. Il a 70 ans. Il a une femme, bien plus jeune que lui. Dans Infernal affairs, Eric Tsang (le parrain de triade) n’avait pas de femme. La raison en est expliquée dans Infernal affairs II. A propos de femmes, dans l’original, Andy Lau avait une femme écrivain (Sammi Cheng) et Tony Leung voyait une psy (Kelly Chen). Dans Les Infiltrés, Damon et DiCaprio se partagent la même femme. Damon sort avec elle et DiCaprio est son patient, car, oui, elle est psy. Mais quand Tony Leung allait la voir pour uniquement dormir sur son divan et oublier sa vie tourmentée, le scénariste des Infiltrés, en fait la maîtresse de Leonardo. Car, Scorsese et son scénariste ont préféré la lourdeur pour montrer que les deux personnages ne sont que le reflet d’eux-mêmes. Anthony Wong, soit le très secret inspecteur Wong, est ici incarné par pas moins de trois personnages (Sheen, Wahlberg et Baldwin) sans qu’on en comprenne vraiment la raison. L’inspecteur Wong avait une relation particulière avec Sam (Eric Tsang). Dans Les Infiltrés, rien de tel. Nicholson ne va jamais manger au commissariat. C’est dommage. Sheen, Baldwin et Wahlberg sont les trois facettes de Wong : l’homme respecté, le décideur et celui qui n’hésite pas à fomenter en secret contre la mafia. Le gros problème du film de Scorsese est d’avoir rajouté beaucoup de gras psychologique (le personnage de la psy) et de tout expliquer des rapports entre les protagonistes. D’où une lourdeur incroyable qui jamais ne réussit à ménager le moindre suspense.

Quel scénario ? Le scénario entre les deux films est similaire. De l’école d’instruction aux scènes finales sur le toit puis dans l’ascenseur et finalement au cimetière. Tony Leung Chiu-wai avait un bras dans le plâtre, DiCaprio en a un. Mais différence, dans Les Infiltrés, on nous explique pourquoi il en a un. Sam, le parrain, vend de la drogue à des Thaïlandais, Nicholson vend des microprocesseurs à des Chinois. DiCaprio ne prévient pas le chef la police en morse, mais avec son portable. Damon appelle tout simplement Nicholson avec son téléphone. Pas de suspense, place aux gunfights mous. Chapman To savait repérer les flics qui planquent, un Irlandais le fait aussi. Mais To jouait un jeune con, et l’Irlandais ne fait pas rire. Andy Lau demande les renseignements sur les hommes de main de Sam, Tony Leung écrit sur l’enveloppe. Damon demande les renseignements sur les hommes de main de Nicholson, DiCaprio écrit sur l’enveloppe. La scène dans le cinéma y est aussi. Wong se faisait jeter du 24ème étage et Sam abattre dans un sous-sol (histoire de bien marquer, mais subtilement, la hauteur d’âme et la bassesse), Sheen se fait jeter du sixième étage d’un entrepôt et Nicholson tuer dans un hangar. Tout le scénario y est, avec 50 minutes en plus constituées de dialogues sur la vie, la mort, les rats (ne ratez pas le dernier plan avec un rat qui se promène sur le balcon). Oui, they’re talking to me. Tout ce qui était indicible, subtil, secret, caché, enfoui dans le passé (car tel est le sujet de Infernal affairs) est ici montré, désigné, expliqué et dialogué. L’exemple même de la lourdeur.

Want to fuck my film ? Avec ce que je viens d’écrire plus haut, Scorsese semble habillé pour l’hiver. On se demande quelle idée il a eu de faire, quinze ans après le nul Nerfs à vif, le remake d’un film a priori loin de ses thématiques (rédemption, bla bla bla). Martin Scorsese signe son troisième film avec Leonardo DiCaprio. Ils ont chacun une thématique commune : un jeune gars sans famille se cherche une famille de substitution dans la communauté irlandaise. Il doit sans doute y avoir quelque chose à creuser là dedans. Oui, mais quoi ? Les trois films (Gangs of New York puis Aviator) souffrent de leur faiblesse narrative. On remarquera que Scorsese donne à des personnages de policiers des premiers rôles. C’est une première dans son cinéma. Les Infiltrés n’est pas un mauvais film, juste à côté de la plaque. Scorsese sait toujours composer des beaux plans, avec un léger abus pour les contre plongées. Il demeure l’un des plus grands directeurs d’acteurs en activité. Tous sont excellents. Ils semblent prendre un certain plaisir à sortir des fuck à chaque phrase, tant le mot est aujourd’hui banni des dialogues. Mais Les Infiltrés est très, très, très en dessous de ses bons films de mafia. Il semble aussi peu à l’aise que lorsqu’il filmait le dalaï lama dans Kundun. Marty, rappelle DeNiro et fais une suite à Casino, please…

Les Infiltrés (The Departed, Etats-Unis, 2006) Un remake à Oscar® de Marty avec Leo, Matt, Mark et le Joker

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