Un flic rencontre une fille. Il la drague. Tel est le début de Isabella, cinquième film de Pang Ho-cheung qui échappe aux conventions. Une belle surprise…
" Tes yeux me rappellent ma petite première copine ", dit l'homme à la jeune fille dans la boîte de nuit. Il la drague avec des phrases toutes faites. L'homme est un peu lourd et la fille ne répond pas. Ils se regardent vaguement dans la pénombre. Cette scène initiale de Isabella n'est pas anecdotique. L'homme est un flic, l'Inspecteur Ma (Chapman To), un célibataire qui, chaque soir, va draguer et qui, chaque matin, se réveille avec une fille différente. Un autre matin, ce sera cette jeune fille, Yan (Isabella Leong) qui se lèvera chez lui. Il croit que c'est une pute et il réclame une pipe. Elle refuse. Yan est sa fille. Il l'apprendra plus tard dans un nouveau plan drague où elle lui fracassera la tête avec une bouteille.
Cela faisait déjà longtemps que Yan suivait Ma. Elle le fixait dans les boîtes de nuit. Elle le cherchait parce sa mère vient de mourir d'un cancer. Elle a besoin d'argent pour payer le loyer, elle est à la rue. Ma propose à sa fille prodigue d'habiter chez lui, histoire d'économiser. En vérité, elle veut retourner dans l'appartement pour récupérer son jeune chien qui répond au nom de Isabella. Ma va payer, mais le propriétaire (Jim Chim, un habitué des seconds rôles dans les films de Pang) a mis le chien dehors. Le père et la fille iront coller des affichettes pour chercher le chiot. C'est le début d'une nouvelle vie pour eux deux.
Pang Ho-cheung a choisi de faire se dérouler Isabella à Macao dans les six mois précédant la rétrocession de la colonie portugaise à la Chine. Idée de génie, car Macao ne ressemble pas du tout à Hong Kong. L'architecture y est très différente, comme on a pu le voir dans quelques films où l'action y est située (Too many ways to be N°1 de Wai Ka-fai, The Longest nite de Patrick Yau, Butterfly de Mak Yan-yan ou encore Vagues invisibles de Pen-ek Ratanaruang). Macao est une petite ville aux vieux bâtiments délabrés dont la peinture craquelle. Parce que c'est une petite ville, il y est facile de trouver les gens que l'on cherche. C'était une des spécificités des films cités plus haut. Yan n'a aucun mal à retrouver son père. L'atmosphère lugubre de Macao la nuit permet à Pang de montrer la déprime de ses personnages à l'aube de la rétrocession.
L'Inspecteur Ma n'est pas un modèle de père. En ce qui concerne sa fonction de flic, ça n'est pas mieux. Il est corrompu, mais le cinéaste entretient un certain flou autour de cela. Ma rencontre un homme étrange (Anthony Wong) qui semble passer son temps à manger et qui lui conseille de ne pas toucher à la " bouffe portugaise ". Les dialogues d'Anthony Wong ont quelque chose d'irrationnel, d'incompréhensible, mais qui cadre avec la situation, elle aussi irrationnelle, que vit l'Inspecteur Ma. Pour ce dernier, sa position de mauvais flic est critique, car les autorités portugaises font le ménage dans la police, comme l'indiquent les intertitres qui jalonnent le film. Tout change à Macao, tout change dans la vie de Ma.
A vrai dire, le début de Isabella laissait craindre le pire. Extrêmement cadrés, les premiers plans ressemblaient trop à une photocopie couleur des derniers Wong Kar-wai. Et hop, je coupe le plan en deux, à gauche le visage de Chapman To en gros plan, à droite du noir. Mais au fil du film, cette esthétisation outrancière laisse place à une comédie douce amère où les détails font mouche. Pang ne fait pas rire comme dans Men suddenly in black mais offre quelques moments burlesques nocturnes (le transport des bagages de Yan, la soûlerie commune) et diurnes (comment Yan doit-elle appeler son père, les rencontres entre Yan et les maîtresses de Ma) qui proposent des respirations au milieu de la mélancolie ambiante.
Comme dans ses quatre films précédents, mais plus en douceur et de manière moins explicite, Pang Ho-cheung met en scène des personnages qui voient leurs vies déréglées par une rencontre et une situation auxquelles ils ne s'attendaient pas. Cela a donné des comédies brillantes et subtiles. Cette fois c'est dans l'émotion la plus profonde que Pang Ho-cheung plonge sa caméra. Il était important de dire qu'il se renouvelle tout en gardant son inspiration propre. Pang Ho-cheung s'affirme comme un appréciable directeur d'acteur. Isabella Leong, vue dans des films anecdotiques, y est une femme enfant perverse et candide à la fois. Chapman To habitué aux seconds rôles de demeuré (Infernal affairs, Initial D) obtient son premier grand premier rôle. Entre eux deux, se déroule quelque chose de troublant, une sensualité qui ne dit pas son nom, quand les jambes frêles d'Isabella Leong rencontrent le gros torse nu de Chapman To. C'est bouleversant et beau.
Jean Dorel
Isabella (伊莎貝拉, Hong Kong, 2006) Un film de Pang Ho-cheung avec Isabella Leong, Chapman To, Meme Tian, J.J. Jia, Anthony Wong, Derek Tsang, Shawn Yue, Steven Cheung, Josie Ho, Jim Chim, Wan Yeung-ming
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