I don’t want to sleep alone, le nouveau film de Tsai Ming-liang fait partie d’une des production New Crowned Hope censé honorer le 250ème anniversaire de la naissance de Mozart, tout comme Syndromes and a century d’Apichatpong Weerasethakul. Mozart est un prétexte. On l’entend à peine, mais ça n’est pas grave. Mais vraiment pas !
Tsai, comme à son habitude filme son acteur Lee Kang-sheng. Premier personnage : celui d’un homme alité dans son lit. Un tube lui sort du nez. Une infirmière s’en occupe. Le malade a les cheveux courts et est en slip (sans doute la plus grande constante de l’univers de Tsai). Deuxième personnage : un clochard aux cheveux longs affamé qui se fait tabasser par des joueurs de rue. Le clochard s’évanouit dans la rue. Un groupe de travailleurs immigrés le ramasse. Ils le transportent dans un vieux matelas miteux que l’un des travailleurs a récupéré. Le clochard est recueilli par l’homme (Rawang) dans sa misérable chambre sous les tôles. Rawang va s’occuper du clochard. Bref, tout le monde caresse, nettoie, prend soin de Lee Kang-sheng.
Tsai Ming-liang, encore plus que dans ses autres films, parle de cul, de sexualité, de désir inassouvi ou non, de l’espoir de coucher avec l’autre. Et Lee Kang-sheng là dedans est comme toujours le corps sur lequel les protagonistes projettent leur désir. Rawang cherche à dormir avec le clochard. Seulement dormir ? Sans doute non. Et puis, il y aussi l’infirmière qui s’avère n’être que la serveuse du restaurant où va le clochard. Elle aussi veut coucher avec lui. Et la patronne du restaurant n’est pas en reste. Avec toujours ce matelas dégueulasse au milieu (un référence politique lit-on partout dans les critiques), matelas que l’on déplace au gré des puces, de la fumée venue de l’Indonésie voisine (on est au Malaysia).
Non, personne ne peut faire l’amour avec Lee Kang-sheng au cinéma. A la limite, on peut le branler (la serveuse le fait sur la malade sur ordre de la patronne, par ailleurs mère du catatonique). On peut le caresser avec ces nombreuses séances de toilettes filmées avec précaution et sensualité. On peut l’embrasser ou le serrer contre soi. Le cul, non. Pour ça, il fallait jouer dans La Saveur de la pastèque. Ici, c’est de la tendresse plutôt.
Tsai Ming-liang change donc d’histoire et continue son style heurté, sombre. Tout ou presque est filmé de nuit ou dans une fumée qui amène au film un côté fantastique. Aucun des trois protagonistes ne parlent. Cela donne un aspect encore plus étrange au film. Du coup, on n’entendra jamais leurs noms. Les seuls dialogues que l’on entend sont ceux dits par les agresseurs des premières scènes, par les clients du restaurant, ou des dialogues qui n’ont que peu de rapport avec l’intrigue. Lee Kang-sheng lui ne dit pas un seul mot. On entend un peu de musique, surtout des airs d’opéra chinois.
Ainsi Tsai Ming-liang continue de faire son cinéma poétique. Une poésie du désespoir où l’on comprend que personne n’a envie de dormir seul.
Jean Dorel
I don’t want to sleep alone (黑眼圈, Taïwan – France – Autriche, 2006) Un film de Tsai Ming-liang avec Lee Kang-sheng, Chen Shi-zeng, Norman Atun.
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